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Le manque manque

Le 11/04/2023 0

Dans Réflexions diverses

Lorsque j’entends mes premiers cours au centre de formation en art-thérapie Profac, je saisi que l’art-thérapie contemporaine(c) est bien différente de ce à quoi on peut s’attendre et que l’idée de manque est importante. L’idée est attrapée au vol, je pense l’avoir saisie, la tenir entièrement mais l’oiseau s’est échappé, il ne reste qu’une petite plume de duvet, un reste, qui laisse un manque justement…

Cette idée de manque nécessaire à la création, nécessaire pour devenir, se forger… vient se confronter à notre époque, à sa caractéristique du tout tout de suite, de son immédiateté, notamment avec le numérique, et me vient en tête les paroles de chanson…

« Qu’on me donne l’envie d’avoir envie... » 1

Je me questionne sur notre époque où tout va vite, très vite, il n’y a plus d’attente, on n’a plus le temps de se languir, les choses sont instantanées, à disposition, à profusion… pour la plupart des personnes. Et on tend de plus en plus vers les extrêmes, soit 1, soit 0, pour reprendre le langage numérique dans lequel on baigne chaque jour et qui est souvent mieux maîtrisé par les nouvelles générations que l’orthographe, la syntaxe et les nuances de pensées. On tend vers le tout noir ou tout blanc, on en oublie que la vie est entre gris clair et gris foncé.

 

Les enfants qui sont nés et grandissent dans cette société de l’instantané ne connaissent que ça : l’accès possible et facile au numérique, le « téléphone prolongement de la main », comme un second cerveau au bout des doigts, une porte ouverte sur le tout et tout de suite… une boîte de Pandor ?

Et je me questionne sur leur possibilité d’avoir en-vie. Je me questionne sur leur possibilité d’être en vie, c’est à dire d’avoir le désir de vivre, d’expérimenter, de ressentir l’étincelle du vivant… d’avoir le temps de manquer et de pouvoir apprécier, désirer les choses simples et essentielles qui font la vie.

« Qu’on me donne l’obscurité puis la lumière,
Qu’on me donne la faim, la soif puis un festin,
Qu’on m’enlève ce qui est vain et secondaire
Que je retrouve le prix de la vie, enfin...
 »2


 

Créer le manque, je dirais même l’éprouver pour pouvoir désirer autre chose, un autre chose qui s’imagine, s’invente, s’espère…

« Qu’on me donne la peine pour que j’aime dormir
Qu’on me donne le froid pour que j’aime la flamme
Pour que j’aime ma terre qu’on me donne l’exil... 
»3

Est-ce que notre société peut continuer ainsi ? Dans l’immédiateté des choses ? Dans la profusion des informations en continue, avec une gigantesque banque de données qui donnent tout et son contraire à disposition de tous, à tout âge et de plus en plus jeune ?

« On m'a trop donné bien avant l'envie
J'ai oublié les rêves et les merci
Toutes ces choses qui avaient un prix
Qui font l'envie de vivre et le désir
Et le plaisir aussi
Qu'on me donne l'envie
L'envie d'avoir envie
Et qu'on allume ma vie 
»4

Comment se construit-on avec tout à sa disposition, sans effort et parfois, sans même encore avoir formulé son envie ? Quand l’envie est provoquée par l’environnement, quand on est sans cesse sollicité(e), n’est-ce pas le manque qui manque ?

Ce sont des questions qui me revenaient sans cesse en tête lorsque je suis tombée sur le livre de Diane Drory « Au secours ! Je manque de manque », évidemment le titre m’a interpelée ! Je lis la 4ème de couverture :

«Aujourd’hui, chaque parent se soucie de son enfant, souhaitant le meilleur pour lui, lui procurant le nécessaire et le superflu. Et pourtant, il n’y a jamais eu autant de demandes pour des consultations infantiles…

À force d’être protégés, couvés, de recevoir, nos enfants ne connaissent plus le manque. Or, le manque, tout comme les limites, est constructeur, leur permet de grandir et d’acquérir les compétences pour s’épanouir et s’affirmer.

Dans ce livre, Diane Drory nous propose de réfléchir à la manière de surmonter certains paradoxes contemporains en matière d’éducation. Elle nous explique tout l’intérêt du manque et nous montre ses effets positifs et négatifs sur le devenir de nos enfants.

Découvrez des réflexions inédites sur des sujets d’actualités tels le burn-out chez les enfants, l’importance de l’espace intime, l’enfant qui veut mourir ou l’enfant « crisseux »5

Puis je l’ouvre dans les premières pages pensant tomber sur le sommaire et à la place je lis :

« (…) On m’a trop donné, bien avant l’envie,
J’ai oublié mes rêves et les mercis,
Toutes ces choses qui ont un prix,
Qui font l’envie de vivre et le désir,
Et le plaisir aussi.
Qu’on me donne l’envie,
L’envie d’avoir envie.
Qu’on rallume ma vie.»6

Cet ouvrage m’a apporté des réponses et aussi d’autres questions en rapport avec la place que les adultes laissent aux enfants, aux adolescents pour que l’individuation puisse se faire, encore est-il nécessaire de leur laisser du temps, chronologique mais surtout psychique! Or, tout le monde est sollicité sans cesse et cela se répercute sur les enfants. Dans ce cas là, c’est le temps et la patience qui manquent, le temps de l’assimilation, le temps psychique indispensable à la construction de l’individu et la patience de les laisser être tout simplement. En fait, ce n’est pas si simple lorsque la société est en permanence dans le faire et l’avoir ! Le manque manque et lorsqu’il se présente abruptement faire quelque chose, avoir quelque chose en main ou sous les yeux ou dans les oreilles manquent, en tant qu’adulte ne sommes nous pas les premiers à se sentir coupable de ne pas faire quelque chose ? Dans une société de consommation, de performance analysée, contrôlée, l’adulte peut être le premier à être angoissé par le manque et à en oublier son importance, à condition que ce soit un manque bordé, avec des limites, donc pas vertigineux mais rassurant, dans lequel on peut être et être libre de (se) créer.

C’est de ce manque là dont il s’agit en art-thérapie contemporaine©, le manque créateur.

 

Pour une utilisation de ce texte, merci de me citer : Mélina Schoutheer, art-therapie80.com et de m'en informer par un simple mail dans contact s'il vous plaît, en vous remerciant. 

1 Chanson « L’envie », écrite par Jean-Jacques Goldman, interprétée par Johnny Hallyday, dans l’album Gang, 1986, Philips

2 Ibid.

3Ibid.

4Ibid.

5 DRORY, Diane. Au secours ! Je manque de manque. Aimer n’est pas tout offrir. 2ème édition. DE Boeck Supérieur, 2021. 4ème de couverture.

6 DRORY, Diane. Au secours ! Je manque de manque. Aimer n’est pas tout offrir. 2ème édition. DE Boeck Supérieur, 2021. Page 7.

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